Pierre Laborde, gardien d’une forêt éreintée par le dérèglement climatique
Trente ans que Pierre Laborde arpente la vallée du val d’Azun comme garde forestier. Trente ans à observer le réchauffement climatique transformer les Pyrénées. Et maintenant, à voir le tourisme sacrifier ce qui reste de biodiversité pour maintenir la neige artificielle.
Ce matin-là, Pierre Laborde s’arrête devant une clairière fraîchement déboisée, au-dessus de Arrens-Marsous, dans les Hautes-Pyrénées. Des souches encore claires parsèment le sol. « Ils ont tout coupé l’hiver dernier », dit-il en désignant l’espace vide. À 52 ans, le visage buriné par trente années passées en altitude, le chef de secteur au Parc national des Pyrénées parcourt chaque jour les sentiers dont il connaît le dessin par cœur.
Fils de berger, Pierre a grandi dans cette vallée avant d’intégrer le Parc national des Pyrénées en 1995, à la sortie de sa formation de garde-moniteur. Depuis, il n’a jamais quitté son poste. « J’aurais pu partir vers d’autres massifs, mais ici c’est chez moi », lâche-t-il avec son accent béarnais. En progressant dans les bois, le père de famille montre de ses larges mains les dégâts de la crise climatique. « Ces sapins avaient plus de 300 ans. On les a abattus pour installer une retenue d’eau. »
« Chaque arbre qu’on coupe, c’est tout un écosystème qui disparaît »
Pierre Laborde, garde forestier dans les Pyrénées
Un écosystème sacrifié
L’eau est devenue le nerf de la guerre dans les Pyrénées. Depuis 2020, les glaciers ont perdu 9 % de leur surface. Les stations de ski manquent cruellement de neige naturelle. Alors celles-ci compensent avec des canons, qui réclament entre 1 000 et 4 000 m3 d’eau par hectare de piste. « Le problème, c’est qu’on pompe cette eau dans les nappes phréatiques, dans les rivières de montagne », explique Pierre. « Et pour stocker tout ça, il faut de la place. »
La place, on la prend sur la forêt. Pierre sort son carnet de terrain, noirci d’observations accumulées depuis son arrivée au poste. Il note tous les changements liés à la déforestation. « Les stations de ski tentent de s’adapter. Pour faire face à la pénurie de neige, elles choisissent d’abattre des parcelles pour rendre accessibles les zones enneigées. Chaque arbre qu’on coupe, c’est tout un écosystème qui disparaît. Les mousses, les insectes, les oiseaux qui vivent du bois mort. »
Une approche nuancée
Il ne rejette pas le tourisme en bloc. Ses propres neveux travaillent à la station de Luz Ardiden. « On est en train de tout miser sur une activité qui, elle-même, souffre du réchauffement climatique », analyse-t-il. « On détruit la biodiversité pour sauver un modèle qui, de toute façon, ne tiendra pas. »
Sur le chemin du retour, il s’immobilise. Un pic vert tambourine au creux d’un hêtre. Pierre lève les yeux, sourit en le pointant du doigt. « Lui, au moins, il est toujours là. » Puis il reprend sa marche, son carnet sous le bras, gardien d’une forêt qui chaque jour lui échappe un peu plus.