Didier, 50 ans, ne cesse de trembler à la barre. Les mains crispées, le regard fuyant, cet homme au physique ordinaire est jugé pour des faits qu’il ne conteste pas : agressions sexuelles et corruption de mineur commises entre 2008 et 2011 sur Clément, alors âgé de 12 à 15 ans. Des actes perpétrés dans l’ombre d’une amitié entre deux familles que rien ne semblait pouvoir ébranler.
Tout commençait innocemment par des coupes de cheveux. Didier proposait régulièrement de coiffer Clément, environ toutes les trois semaines. « Au début, il ne s’agissait que de couper les cheveux, mais il nous demandait de nous mettre nus pour ne pas salir nos vêtements », témoigne Clément, aujourd’hui âgé de 29 ans.
La première agression reste gravée dans sa mémoire. À 12 ans, Clément se souvient précisément comment Didier, alors âgé de 37 ans, lui a fait des remarques sur sa pilosité pubienne avant de lui proposer de la « tailler », suggérant une érection « pour que ce soit plus simple ». Le jeune garçon, surpris et désarmé face à cet adulte qu’il connaissait depuis toujours, n’a pas su réagir quand Didier a commencé à pratiquer une fellation.
La cave du domicile, une voiture lors de sorties pour aller voir des camions — passion de Clément dont Didier se servait comme prétexte —, la chambre du prévenu lorsque les parents étaient absents : tous les lieux étaient bons pour isoler l’adolescent. La porte de la salle de bain verrouillée pour ne pas être surpris témoigne de la préméditation que Didier nie pourtant avec véhémence.
« Il n’y a jamais eu de violence ni de menace », précise Clément, mais la présidente du tribunal rappelle que l’ascendant moral est considéré comme une forme de violence. « Je ne savais pas comment m’opposer à ce qu’il se passait », ajoute la victime qui n’a jamais reçu d’injonction explicite de garder le silence, mais qui a ressenti « intuitivement qu’il ne fallait pas en parler ».
Les aveux et les justifications
« Je ne peux pas expliquer pourquoi j’avais une attirance », déclare Didier, qui rejette toute qualification de pédophilie. « Je n’ai pas du tout d’attirance pour les enfants. » Ses explications tournent en boucle : « Je me suis revu à son âge », « C’était des pulsions », « Ça m’est venu comme ça, un flash dans la tête ».
Lorsque la présidente l’interroge sur cette « bascule » inexpliquée, Didier évoque son propre passé : « J’ai simplement revu le père d’un copain de mon fils avec qui j’avais fréquenté à l’âge de 13 ans. Mes parents étaient contre mon homosexualité. » Il mentionne également avoir été lui-même victime d’agression sexuelle à l’âge de 10 ans, et avoir grandi dans une famille naturiste avec un « rapport ambigu à la nudité ».
La présidente ne manque pas de relever l’utilisation troublante du pronom « on » par l’accusé pour décrire les agressions, comme s’il s’agissait d’actes consentis. L’avocate de la partie civile souligne que Clément a plutôt été « traité comme un objet sexuel durant les dizaines d’agressions ».
Face aux accusations de corruption de mineur qui incluent également son propre fils, Didier reconnaît avoir encouragé son fils et Clément à se masturber devant lui lors du visionnage d’un film pornographique, et s’être joint à eux. Des révélations qui glacent l’assistance.
Une vie brisée
« Ça m’a détruit », déclare Clément d’une voix étranglée. « Je n’avais aucune notion de la gravité, c’est devenu normal pour moi. C’est après que ça ressurgit, en boucle. » Son quotidien est désormais rythmé par « trois à quatre flashs par jour » de ces agressions, malgré les années écoulées.
« Le temps n’aide pas, les médicaments non plus d’ailleurs », poursuit-il. « Dans ma tête, je fais du surplace. Sans mes amis et ma famille, je ne serais rien. » Les conséquences psychologiques sont dévastatrices : pensées suicidaires, automutilation, traitement médicamenteux lourd, impossibilité de faire confiance aux autres.
« Je ne peux pas être dans la même pièce que des enfants seul, même si je sais que je ne ferais rien », confie-t-il, avant d’ajouter : « J’espère un jour sortir de tout ça et de ces médicaments, mais là, c’est long. » Puis, dans un aveu déchirant : « J’attendais ce procès, mais au fond, c’est en moi. Ce sera toujours là, dans ma tête. » À ces mots, Clément quitte la salle d’audience, submergé par l’émotion.
Une famille dévastée
La mère de Clément s’avance à la barre, les yeux rougis : « Je n’ai jamais douté de ses propos. Je me sentirai toujours responsable d’avoir fait entrer cet homme dans ma famille, même si personne ne pouvait savoir. » Sa voix se brise : « J’aurais dû percevoir quelque chose de bizarre dans cette gentillesse extrême. Avec Clément, j’ai voulu faire confiance et je le paie très dur actuellement. »
Elle décrit sa propre descente aux enfers : « Je me suis isolée, je ne fais confiance à personne, j’ai peur de l’extérieur. Ma vie, c’est des montagnes russes. »
L’avocate de la partie civile détaille les conclusions des trois expertises psychologiques réalisées sur Clément : syndrome post-traumatique sévère, dépression chronique, vie sociale et amoureuse entravée. « Avoir des enfants n’est même pas une option pour mon client », précise-t-elle.
Les deux sœurs de Clément, également parties civiles, souffrent de « mauvaises nuits » et de la « crainte de fonder une famille ». L’avocate demande 8000 euros pour les souffrances endurées par Clément, 6000 euros pour le préjudice sexuel, ainsi que 5000 euros pour chacune des sœurs.
Culpabilité et punition
« Aujourd’hui Didier n’est pas le même homme qu’il y a 10 ans, mais au moment des faits, il a jeté son dévolu sur Clément puisqu’il était dans une situation de sûreté et une confiance familiale dont il a profité », tonne le procureur dans ses réquisitions. « Personne ne fait ça aux enfants. »
Le procureur s’interroge : « Une fois le désir assouvi, qu’est-ce qui explique que ça continue ? » Il pointe la recherche délibérée de proximité avec les enfants : « Tous les lieux et prétextes étaient bons pour être seul avec Clément et abuser de lui sexuellement. » Il requiert 10 ans d’emprisonnement en peine mixte, dont 4 ans ferme, sous obligation de soins et interdiction d’activités avec des enfants.
« J’ai tout perdu », murmure Didier. Lorsque le délibéré tombe, il écoute, immobile : deux ans de prison sous bracelet électronique et trois ans de sursis probatoire, avec interdiction d’approcher la victime et interdiction à vie de côtoyer des enfants dans le cadre professionnel ou bénévole.
À l’annonce de cette peine, bien en-deçà des réquisitions, les visages fermés de la famille de Clément trahissent la déception. Pour eux, cette condamnation, attendue depuis plus de quatre ans, ne referme pas les plaies d’un traumatisme inscrit à jamais dans leur chair.