Près d'un millier d'élus ont quitté leur fonction depuis le début de leur mandat en 2020./Près d'un millier d'élus ont quitté leur fonction depuis le début de leur mandat en 2020./©généré par ChatGPT
Près d'un millier d'élus ont quitté leur fonction depuis le début de leur mandat en 2020./Près d'un millier d'élus ont quitté leur fonction depuis le début de leur mandat en 2020./©généré par ChatGPT

“Être maire est devenu un combat” : en Loire-Atlantique, une vague sans précédent de démissions d’élus 

Depuis 2020, un nombre record d’élus municipaux a choisi de jeter l’éponge en Loire-Atlantique. Derrière ce constat, une réalité alarmante : l’engagement politique local semble de plus en plus difficile à tenir. Témoignages. 

Thierry Godineau, ancien élu d’opposition à Saint-Julien-de-Concelles (7 600 habitants), fait partie de ceux qui ont décidé de partir avant la fin de leur mandat. Après neuf ans passés au conseil municipal, il a choisi de démissionner en novembre 2024. S’il se dit aujourd’hui “soulagé”, reste tout de même la déception “de ne pas avoir fait avancer les choses”.

Pourtant, il consacrait près de trois heures par jour à éplucher les dossiers, rédiger des synthèses et préparer des interventions. “Nous voulions défendre la démocratie participative et l’environnement, mais nos propositions n’étaient pas entendues par la majorité. Nous avons rabâché les choses, en vain”, déclarait-il à la sortie du conseil municipal marqué par sa démission. Un investissement bénévole qui s’est soldé par un échec. Et il n’est pas le seul.

En l’espace de quatre ans, plus d’un millier d’élus ont présenté leur démission, soit une augmentation de 60 % par rapport au mandat précédent, selon l’enquête Cevipof paru en novembre 2023.

Lui aussi a décidé de jeter l’éponge. À Soulvache : Didier Paitier a démissionné de son poste en octobre dernier. Une situation d’autant plus complexe que la commune a connu près de trois maires en un seul mandat.

Ici, c’est l’opposition qui aura poussé le retraité à quitter ses 354 administrés. Il avait évoqué les raisons de sa démission dans les colonnes de Ouest-France : “Je ne peux pas administrer ma commune en raison de mes adjoints qui s’opposent systématiquement à mes projets et à toute idée que je propose pour dynamiser le village. Le dialogue est totalement rompu.” Quatre nouvelles démissions ont eu lieu en février dernier.

“Nous sommes les premiers à portée de gifle” 

L’ampleur de ces démissions interroge. Pour Marie-Pierre Guérin, maire de La Meilleraye-de-Bretagne et membre de l’Association des maires ruraux de Loire-Atlantique, les raisons de cette crise sont nombreuses. “Nous avons les mêmes exigences qu’ailleurs sans les services adéquats. La charge administrative est lourde, les délais sont de plus en plus serrés. Les maires sont fatigués, surtout dans les petites communes.”

Mais plus que les contraintes administratives, c’est la perte de lien social et l’individualisme des administrés que Marie-Pierre Guérin dénonce : “Les habitants sont devenus très exigeants, certains sont même agressifs. Nous sommes les premiers à portée de gifle, c’est cela, la réalité d’un maire en France.” 

C’est d’ailleurs ce qui a poussé le maire de Saint-Brévin, petite commune balnéaire, à quitter ses fonctions. Sa démission avait fait le tour de France en mars 2023, lorsqu’il avait assisté, impuissant et en pleine nuit, à l’incendie de ses voitures et à la propagation des flammes à sa maison. Yannick Moreau est devenu en quelques heures le symbole de la solitude des maires français.

Un constat que partage Marie-Pierre Guérin : “C’est devenu un combat d’être maire aujourd’hui. Si je n’avais pas réussi à me battre, j’aurais moi aussi démissionné. La situation est anormale et nous n’avons aucun soutien”, avant d’ajouter : “Les maires ne doivent plus être les punching-balls de la République.” Une phrase largement reprise par Roch Chéraud, coprésident de l’Association des maires ruraux de Loire-Atlantique. 

Une crise de l’engagement ? 

Difficile, dans ces conditions, de séduire de nouveaux candidats à un an des municipales. La maire de La Meilleraye-de-Bretagne craint de ne pas avoir d’élections à organiser : “Déjà en 2020, nous étions la seule liste. Nous sommes pour les trois quarts retraités, il faudra bien passer la main un jour, mais à qui ? C’est la question.”

Dans cette petite commune de Loire-Atlantique, il faut en effet trouver 19 personnes pour gérer les affaires courantes et composer une liste tout en respectant la parité. Une mission difficile dont dépend pourtant l’avenir de la commune. “Si personne ne veut occuper cette mission, la préfecture prendra le relais, mais ce serait malheureux. Un maire, c’est une figure de proximité, un ancrage local, c’est l’essence même du travail.” 

Un phénomène qui ne semble pas près de s’arrêter au vu des derniers chiffres. Pour Marie-Pierre Guérin, la solution est simple : il faut redonner du pouvoir aux élus. “Il est essentiel de changer ce statut, d’augmenter les indemnités. Être élu est un métier qui prend du temps, certains perdent une partie de leur salaire pour exercer leur mandat. Ça ne peut plus durer. Un élu doit avoir droit à un congé maternité, à des points pour la retraite.”

Mais plus que des moyens, les élus attendent du soutien et de la reconnaissance. Tous l’affirment : ils ont besoin de retrouver du sens à leur engagement. 

Louise Dugast

Le Fil Info

Autres articles