Le pont Anne-de-Bretagne est actuellement en travaux pour accueillir une nouvelle ligne de tramway. Un gigantesque pont transbordeur occupait sa place, il y a 70 ans.
Comment faire traverser les piétons et les véhicules d’une rive à l’autre d’un fleuve sans gêner le trafic maritime ? La réponse, c’est le pont transbordeur. Il s’agit d’un ouvrage métallique enjambant un canal, un fleuve ou un port. Par sa hauteur, il permet de laisser passer les voiliers ou les cargos aux grands mâts. Le transbordement s’effectue à l’aide d’une nacelle, suspendue par des câbles à un chariot qui roule sur le tablier du pont.

Un géant de métal
Les transbordeurs ont été inventés par l’industriel français Ferdinand Arnodin. En France, il y a eu six ponts de ce type à Brest, Rouen, Rochefort, Nantes, Marseille et Bordeaux (inachevé). Le pont de Nantes est inauguré en 1903. L’ouvrage est situé entre le Quai de la Fosse et l’Île de Nantes. « Le contexte de ce pont est différent des autres transbordeurs, puisqu’il est construit en plein milieu de la ville. D’où les adaptations d’Arnodin pour ce pont, grâce à l’adoption d’un système de contrepoids, évitant d’avoir à arrimer des câbles en plein milieu des rues », nous apprend André Perron, historien nantais.
Ses pylônes sont d’une hauteur de 76 m et il mesure 140 m de long. Le tablier est situé à 50m au-dessus du niveau de la Loire. La nacelle permet de transporter en deux minutes des véhicules, des piétons et des animaux d’une rive à l’autre. Depuis le centre-ville, il permet de desservir les chantiers navals Dubigeon sur l’Île de Nantes. Le transbordeur est le trait d’union entre l’univers urbain du centre-ville et le monde industriel de l’Île de Nantes. « Il est implanté dans un tissu urbain et industriel, où les deux sont liés », poursuit l’historien.

Un emblème de la ville
Le transbordeur devient un objet touristique. Il est possible d’accéder au tablier du pont, ce qui offre une vue panoramique unique sur la ville et sur la Loire. « C’est à la fois un belvédère et un emblème de Nantes comme ville portuaire » indique André Perron. « Il est indissociable de l’image du port, qui grouillait d’activité », complète Edmond Guibert, auteur spécialiste du port de Nantes.
Le géant d’acier est aussi le théâtre d’exploits. Des aviateurs s’intéressent au pont, comme le rappelle André Perron. « En 1913, Alexis Maneyrol est le premier à passer sous le pont en avion ». Un citoyen de Paimboeuf réalise la même expérience en 1936, mais doit, quant à lui, répondre de son audace devant la justice…
Le pont est aussi très présent dans l’imaginaire collectif et dans le coeur des artistes, comme l’explique Edmond Guibert. « Mon père, Edmond Bertreux (peintre paysagiste nantais), l’a beaucoup peint. Il est aussi présent sur de nombreux objets publicitaires, affiches ou cartes postales. Je me souviens même d’une bouteille de Muscadet où figurait le pont ! »



Des débats pour sa sauvegarde, en vain
Le pont est cependant abîmé par les bombardements de la Seconde Guerre Mondiale. Dans les années 1950, la question de sa restauration ou de sa destruction se pose. Il s’arrête finalement le 31 décembre 1954.
De grands débats naissent autour de son éventuelle sauvegarde, et font les gros titres de la presse. De nombreuses personnalités publiques et artistes locaux se prononcent pour son maintien, et organisent des rassemblements. « Il y avait un vrai débat entre les pour et les contre », explique Edmond Guibert. « Mon père Edmond Bertreux a fait partie de ceux qui ont milité pour son maintien. »
Pour André Perron, le plus intéressant c’est qu’un débat sur la préservation du patrimoine a existé dès la fin des années 1950. « Le débat autour de sa destruction a sans doute contribué à sensibiliser l’opinion publique à la préservation du patrimoine industriel, alors qu’à l’époque, on ne s’y intéressait pas ».
Malgré l’attachement des Nantais à leur pont, il est finalement démoli au cours de l’année 1958. Chez les Nantais, veufs de leur transbordeur, court la légende que le transbordeur aurait été démonté avec soin et emballé dans des caisses. Prêt à réapparaître un jour… « Mon père continuait à peindre le pont, même après sa destruction ! » confie Edmond Guibert.
Aujourd’hui, le pont reste très présent dans le cœur des anciens Nantais. Il ne reste plus de ce géant que les piles en pierre soutenant les pylônes. Elles sont situées au pied du pont Anne-de-Bretagne.
Régulièrement, des architectes comme Paul Poirier proposent la construction d’un nouveau pont, mais qui a peu de chances de se concrétiser. Il demeure encore un pont transbordeur en France, le pont de Martrou, situé à Rochefort (Charente-Maritime).
Léo Cognée

