Portrait : cuisine serbe et héritage assumé, la mission de Richard Savic

Entrepreneur et passeur de culture, Richard Savic a transformé son héritage serbe en une aventure gastronomique à Nantes. Il garde, en parallèle, un regard lucide sur son pays d’origine traversé par des manifestations contre la corruption.

Dès les premières paroles échangées, sa voix révèle une dualité qui le caractérise. Son parlé Français coule avec l’aisance presque parisienne, mais certaines intonations révèle un ailleurs. Richard Savic parle avec cette cadence particulière de ceux qui naviguent entre deux mondes. Né à Paris mais porteur d’un héritage serbe chevillé au corps, il en a fait une force qui nourrit son projet professionnel.

Depuis six ans, avec son compagnon Goran, il fait découvrir aux Nantais les trésors culinaires de la Serbie avec son entreprise Cœur de Miel. Sur les marchés, dans des événements, les deux compagnons débarquent, à bord de leur triporteur orné du drapeau serbe, pour y partager leur culture tout droit venue de l’Est.

Un parcours entre deux rives

L’histoire de Richard est celle d’un homme qui a appris à tisser des liens entre ses différentes appartenances. Né dans une famille originaire de Belgrade installée fraîchement dans la capitale française, il grandit dans cet entre-deux culturel qui façonne une identité composite.

« J’ai passé presque toute ma vie en France, mais j’ai énormément d’attaches là-bas » confie-t-il. « C’est à l’âge adulte que j’ai compris la richesse de cette double culture. C’était plus fort que moi, c’est une mémoire qui est présente dans votre esprit inconsciemment. »

Avant de se lancer dans l’aventure gastronomique, Richard connaît un parcours professionnel éloigné du monde culinaire. « Je suis passionné par toutes les formes d’art. J’ai été intermittent du spectacle, j’ai travaillé au conservatoire. J’ai écris des livres » développe-t-il. La rencontre avec Goran, lui aussi d’origine serbe, a été le catalyseur d’une transformation profonde. Ensemble, ils troquent une Serbie trop conservatrice sur l’acceptation de l’homosexualité pour une liberté promise plus à l’Ouest.

Un regard lucide sur la Serbie contemporaine

Au-delà de son activité commerciale et par l’histoire de sa famille, Richard Savic reste profondément connecté aux évolutions de son pays d’origine. Ses parents débarquent en France dans les années 60, lorsque le président Tito offre l’opportunité à son peuple de partir travailler à l’étranger. Cette famille, presque traumatisée par la politique corrompue du pays, n’hésite pas un seul instant à faire ses bagages. Les récentes manifestations contre la corruption en Serbie résonnent alors particulièrement en lui.

« Ce qu’il se passe là-bas me touche profondément » confie-t-il. « La Serbie est un pays avec un potentiel immense, mais qui lutte encore contre ce vieux démon qui s’est installé.» Sa voix se teinte d’une gravité nouvelle lorsqu’il évoque cette corruption qu’il qualifie de « sourde et méthodique ».

« Les gens descendent dans les rues parce qu’ils veulent que leur pays avance, qu’il rompe avec certaines pratiques qui freinent son développement. Là-bas, la corruption est rentrée complètement dans les esprits. Payer des pots de vin aux chirurgiens pour être opéré en urgence, c’est devenu monnaie courante. Les chirurgiens n’ont presque même plus besoin de le demander. »

Sans s’aventurer dans les débats partisans, il exprime l’espoir de voir son pays d’origine trouver une voie qui respecte à la fois son identité singulière et les valeurs démocratiques. « La Serbie mérite mieux que la corruption et les systèmes clientélistes. » conclue-t-il avec conviction.

CAMILLE TARLET

Le Fil Info

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