À Ouessant, le phare du Créac’h, est menacé par un projet de rénovation. Si ce dernier arrive à son terme, ce phare, le plus puissant d’Europe, aura une portée lumineuse réduite. Une menace pour l’intégrité patrimoniale du phare mais aussi pour la navigation.
À Ouessant, île la plus à l’ouest de France, le projet de rénovation du phare du Créac’h fait grand bruit. En témoignent les nombreux panneaux ou pancartes installés un peu partout dans le bourg de Lampaul. « Ça ne passe pas », confie Dominique Baot, photographe sur l’île. « On est tous mobilisés pour sauver notre phare, on se bat ».
Un phare légendaire
Le Créac’h est une des fiertés de l’île. Construit en 1863, ce phare est la porte d’entrée de l’Europe continentale pour les bateaux qui viennent du large. S’il a été pendant un moment le plus puissant du monde, il est aujourd’hui encore le plus puissant d’Europe. Et ce, grâce à ses deux optiques superposées, émettant huit faisceaux lumineux, d’une portée de 30 milles nautiques (environ 60 kilomètres). « Cette optique pèse 17 tonnes. C’est une merveille d’horlogerie industrielle, présentée à l’Exposition Universelle de 1937 » explique Marc Pointud, Président de la Société Nationale pour le Patrimoine des Phares et Balises (SNPB), association qui intervient pour la préservation des phares partout en France.

Le problème : supprimer la cuve à mercure
« Pour pouvoir tourner sans frottement, cette optique flotte sur une cuve de mercure, comme dans la plupart des phares », expose le spécialiste. Au cours d’une inspection, il y a un an et demi, le service public des phares et balises s’aperçoit que le robinet de vidange de la cuve fuit. Malgré la réparation, on décide de supprimer la cuve et, par conséquent, tout ce dispositif lumineux unique. « L’argument qu’ils avancent, c’est de se conformer à la convention de Minamata de 2013, qui prévoit de limiter l’usage du mercure dans l’industrie. Pourtant, elle ne concerne pas les phares ! Et, depuis l’installation de la première cuve à mercure sur un phare en 1901, il s’est écoulé 124 ans sans incident ! ».
Le phare est pourtant classé monument historique depuis 2011. Selon ce projet, l’optique actuelle serait démontée et remplacée par un feu industriel de faible puissance. « Le Créac’h ne serait même plus un phare. Sa portée passerait de 30 milles à 19 milles seulement. La définition même d’un phare, c’est que sa portée doit être supérieure à 20 milles nautiques. Il deviendrait un simple feu de jalonnement », explique ce spécialiste du droit maritime.
Des arguments sécuritaires et économiques contre le projet
Au-delà de l’aspect patrimonial, les arguments de la SNPB pour le maintien de la puissance du phare sont nombreux :
- Le secteur de Ouessant est très dangereux, jalonné de hauts-fonds et de courants puissants. « Par temps de brume, alors qu’il est actuellement visible à 20 ou 30 km, il ne le serait plus qu’à 2,6 km ! »
- Les bateaux de plaisance ou de petite pêche sont certes équipés de GPS, mais les pannes sont fréquentes. « En cas d’avarie, si on réduit la portée du Créac’h, les bateaux ne le verront que trop tard, et seront déjà sur les rochers. »
- Le coût des travaux serait très important. « Démonter une optique de 17 tonnes à 60 m de hauteur, ça ne se fait pas tout seul. Ça coûterait des centaines de milliers d’euros. Avec une telle somme, on pourrait trouver une autre solution. »

Une pétition rassemble 26 000 signatures
Rien n’est encore fait, mais les travaux pourraient débuter prochainement. Associée au collectif local « Ouessant Vent de bout’ », la SNPB se mobilise. Des rassemblements ont lieu à Ouessant régulièrement. Une pétition, qui rassemble près de 26 000 signatures, a été lancée. « Ce qu’on veut, c’est un moratoire. On veut repousser ces travaux, car rien ne presse pour le moment, afin de faire étudier un nouveau système de rotation, sans mercure. »
Si ce projet voit le jour, le grand phare de Ouessant, monument historique et joyau du patrimoine technique maritime, perdrait toute son identité, au-delà même du danger que cela représenterait pour les marins. Il en serait alors fini du spectacle nocturne quotidien des huit puissants faisceaux lumineux balayant la terre ouessantine.
Léo Cognée

