À l’heure du streaming et de l’écoute fragmentée, ce bar nantais fait le pari du vinyle et d’une écoute plus attentive. Rencontre avec Alexandre l’un des deux fondateurs, qui raconte la philosophie d’un lieu où l’on vient autant pour l’ambiance que pour la musique.
Lorsque Alexandre Gaujarengues et son associé Thomas Plu ouvrent le bar 303 à Nantes il y a cinq ans, leur motivation est simple. Partager leur passion commune pour les disques. « Nous, on est passionnés de ça avec mon collègue. On s’est rencontrés il y a 17 ans et ça fait quoi… 12-15 ans qu’on collectionne les disques », explique t-il. À l’époque, peu de lieux à Nantes proposent une vraie culture du vinyle. Le projet s’impose naturellement.
Le nom du bar n’a rien du hasard. Il renvoie au mythique synthétiseur TB-303 de Roland. Une machine culte des années 1980 qui a façonné l’histoire de la house, de l’acid et de la techno. Un clin d’œil évident à la culture électronique dans laquelle baignent les deux fondateurs. Une culture qu’ils défendent également à travers leur label “Voiceless”, dédié aux artistes émergents comme confirmés, et qui prolonge l’esthétique qu’ils portent au bar. Leur idée : créer un lieu où l’on pourrait écouter de la musique comme on la partage entre passionnés; lentement, avec attention, et sur un support tangible.

La vente de vinyles n’est pas pensée comme un business, mais comme une prolongation de l’identité du lieu. « C’est pas pour le chiffre d’affaires, c’est plus pour le concept et la passion. » Pour Alexandre, l’objet physique garde un rôle essentiel, à contrepied de l’hyper-consommation musicale actuelle. « C’est un plus dans l’industrie musicale où tout est ultra consommable et téléchargeable. Je trouve que l’objet vinyle, ça apporte quelque chose en plus. » Aujourd’hui, le bar propose une collection d’environ 1 000 vinyles, que l’on peut écouter sur place ou acheter pour prolonger l’expérience chez soi.
Une écoute plus lente, mais pas silencieuse
Contrairement aux jazz kissa japonais ces bars d’écoute silencieuse le bar303 n’impose pas de règles strictes. Alexandre le sait : « On est en France et… on n’aura jamais la culture japonaise, je pense. » Ici, on accepte que les gens parlent, rient, échangent. L’objectif n’est pas de sacraliser le silence, mais de créer une atmosphère où la musique reste au centre. « On ne met jamais la musique trop fort parce qu’on sait que ça fait parler les gens plus fort, et après on s’entend plus », précise-t-il. Cependant, l’attention se fait ressentir dès qu’un artiste prend les platines et commence à jouer. « Là, les gens sont là et vraiment attentifs. »
De manière générale, il constate que les DJ invités jouent un rôle clé. Le bar ne suit pas une ligne artistique rigide : « Ça peut être des potes, des artistes qu’on contacte ou des gens qui viennent spontanément. » Ce qui compte, c’est que la musique reste « d’écoute, pas trop agressive » dans l’énergie du bar. Quand aucun DJ n’est programmé, Alexandre et Thomas alternent entre albums et mixtapes, sans règle particulière.
Le rapport personnel à l’écoute
Ironiquement, il reconnaît que lui-même n’est pas toujours un auditeur discipliné. Comme près d’un quart des auditeurs qui n’écoutent jamais un morceau jusqu’au bout ; « J’ai aussi ce défaut de rarement écouter des albums en entier. […] J’adore chercher du son, je passe énormément de temps à ça, mais même les morceaux que je kiffe, je les écoute 30 secondes chez moi et j’enchaîne. »
Au bar, le rituel du vinyle lui impose pourtant un autre rythme : sortir le disque, poser le diamant, retourner la face. « Quand tu mets un vinyle, faut que tu sois attentif… quand le vinyle est terminé, faut le retourner. Il y a beaucoup plus de l’attention. » Une expérience très différente, dit-il, de celle d’un morceau lancé machinalement sur une petite enceinte.

Entre streaming, IA et surabondance : la nécessité de ralentir
Alexandre observe, comme beaucoup, l’inflation infinie des sorties musicales. Il confie cette sensation de devoir écouter tout dès la mise en ligne, alors que : « Ce n’est pas grave si tu écoutes un album d’il y a deux ans. » Cette course permanente l’inquiète, d’autant plus avec l’arrivée de morceaux générés par intelligence artificielle, comme le titre I RUN, créé par une intelligence artificielle, puis repris par une artiste. « Ça me paraît hallucinant. C’est effrayant. »
Le débat autour du respect de l’œuvre n’est pas nouveau. On pense notamment à la demande d’Adele à Spotify pour retirer la lecture aléatoire par défaut sur les albums : derrière cette fonction, c’est l’IA qui décide de l’ordre des morceaux, brisant parfois la narration pensée par l’artiste. Pour lui, l’objet physique, et en particulier le vinyle, reste une façon de témoigner d’un engagement et d’un respect envers le projet de l’artiste. « Rien que le fait d’acheter un objet, ça montre l’engagement que tu y mets. » Et lorsqu’il compare un DJ qui joue sur platine avec vinyle et un autre qui mixe sur ordinateur, il assume pleinement son choix : « Je préfère la personne qui va faire l’effort de mixer des vinyles. »
Si les clients viennent avant tout pour l’ambiance, la musique les rattrape souvent. « Il y a plein de personnes qui disent : “Ah, trop bien, j’ai shazamé plein de trucs ce soir !” » Certains habitués, eux, vont plus loin : ils apportent leurs propres disques et participent à faire découvrir de nouveaux artistes. « C’est des clients qui sont devenus des amis. […] J’adore découvrir des choses justement parce que je sais que la personne a des super bons goûts. »
Camille Blaringhem
Infos pratiques :
Bar 303
Lieu 1 Rue Jean Jaurès, 44000 Nantes
lun, fermé
mar, mer 17-23h
jeu, 17-00h
vend, sam 17-1h30
dim 11-17h