Tribunal judiciaire de Nantes @Cour d'appel de Rennes
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Nantes : un procès qui interroge la répression du mouvement social

Lundi 17 novembre, au Tribunal de Nantes, se tenait un procès en lien avec le 1er mai 2024. Gaspard*, qui comparaissait pour trois chefs d’inculpation a été condamné à six mois de prison avec sursis et deux ans d’interdiction de manifestation sur le territoire français. 

Gaspard est accusé de participation à un groupement formé en vue de commettre des violences, de s’être dissimulé le visage et d’avoir refusé la signalétique – prise d’empreinte, photos et prise d’ADN -. Pour ces chefs d’accusations, le procureur a requis six mois de sursis. Deux pour le refus de signalétique et quatre pour « groupement », auxquels s’ajoute une interdiction de manifester sur le territoire national pendant deux ans. Une réquisition suivie par la collégiale – un juge et deux assesseurs – qui siégeait ce jour-là. La peine s’inscrit dans un durcissement policier et juridique envers les mouvements sociaux. Mais pas d’exécution provisoire, en cas d’appel – que le prévenu compte déposer – la peine ne sera pas appliquée. Pour lui, ce procès découle de la volonté de la police de désigner des figures à pénaliser. « La police attribue des rôles, celui du meneur ou de l’élément à risque. Quand tu es connu des services, ça joue. ». 

Un dossier fragile

L’affaire remonte au 1er mai 2024, journée de manifestation marquée par des affrontements entre un important cortège et les forces de l’ordre. Dans le dossier, la police décrit Gaspard comme un « meneur », un rôle qu’il conteste. L’enquête s’appuie sur une série de photos où les enquêteurs pensent le reconnaître : d’abord en blouson de cuir à 10h48, puis masqué à 11h13, gants noirs à 12h14, lunettes de piscine à 12h15, enfin derrière un mur de parapluies noirs et rouges vers 13h. Mais seule la première image permet une identification certaine, et les caméras de surveillance ne le relient à aucune dégradation. Malgré cette fragilité, la qualification de « personne active » dans les affrontements est retenue. Pour Gaspard, l’enquête a été montée à l’envers, « la police part d’une sorte de certitude sur une personne et elle construit les éléments qui affirmeraient son hypothèse de départ. ». 

Placé en GAV – garde à vue – le 29 mai 2024, il refuse de donner son état civil, de se soumettre aux empreintes et au prélèvement ADN, et choisit le silence. Une stratégie revendiquée qui suit les conseils de Grève Nantes, groupe public et autonome : « Refuser la signalétique, c’est éviter que la police puisse utiliser ces données pour des faits passés ou futurs. Cela constitue un délit, mais c’est aussi une manière de protéger ses camarades. ». Concernant l’utilisation du droit au silence, la raison avancée est que la GAV « sert à monter des preuves contre le suspect, ce n’est pas l’endroit pour se défendre . »

Une répression qui évolue

Pour Gaspard, ce dossier n’est qu’un symptôme d’un changement de fond : « Depuis 2016 et les manifestations contre la Loi Travail, le maintien de l’ordre évolue. Ils s’entraînent en continu à gérer des manifestations émeutières. ». Le militant voit également une forme de « jonction » entre arrestations en manifestation et traitement judiciaire : « Il y a une politique du chiffre qui se développe, et la justice suit. ». Pour lui, le champ pénal s’élargit progressivement, « des choses qui n’auraient pas été poursuivies de toute évidence il y a quelques années, le sont aujourd’hui.». Les pratiques policières en commissariat évoluent elles aussi, parfois importées directement de Paris : « Les expérimentations les plus rudes apparaissent souvent là-bas, puis arrivent dans d’autres villes, comme Nantes. ». Les prélèvements d’empreintes forcés en sont un exemple, eux qui ne se faisaient pas avant qu’un officier de police judiciaire parisien débarque à Nantes.

Pour autant, il ne pense pas que ces procédures découragent l’engagement militant : « Faire face à la justice, c’est le parcours logique de tout révolutionnaire. Ça joue sur le calcul risque-bénéfice, mais ça n’empêche pas les gens de se mobiliser. ». L’appel pourrait rejouer une partie du dossier, mais pour les personnes composant le mouvement social, le signal est déjà clair : la simple présence dans un cortège peut suffire à devenir une cible policière puis judiciaire. 

*prénom modifié pour préserver l’anonymat

Clément Guillotin

Le Fil Info

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